Rencontre avec la plasticienne-photographe Tiphaine Gondouin

tiphaine_gondouin

 

Afin de soutenir la création artistique sur le territoire des Vosges, le Conseil départemental des Vosges ouvre ses portes aux artistes locaux. Quatre artistes ont été sélectionnés par un jury parmi 14 candidats. Tiphaine Gondouin est la 2ème artiste à exposer ses oeuvres. Elle sera suivi par 2 autres artistes vosgiens courant 2020.

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Pouvez-vous nous retracer un peu votre parcours ?

 

Je pratique en labo la photographie depuis la 3ème au collège. Au lycée, pendant les semaines banalisées, j’ai effectué un stage d’entreprise auprès d’un photographe et j’ai continué d’y aller pendant les petites vacances. Après un bac ES, j’ai fait des études d’arts plastiques à l’Université de Strasbourg. J’y ai suivi en parallèle des cours de Lettres Moderne, de philosophie esthétique et de Cinéma.

J’ai énormément aimé étudier d’autres sujets que l’art : les questions sur la société et le monde qui nous entoure, l’économie, la littérature et les sciences, … Cela m’a beaucoup servi dans ma pratique.

J’ai eu parfois du mal avec l’enseignement traditionnelle des arts plastiques (dessin, croquis, peinture, sculpture) au début de ma formation. Par conséquent, j’ai souvent essayé d’imposer une réponse photographique à des sujets que l’on nous donnait, quand c’était possible.

J’ai obtenu une maîtrise en arts plastiques puis un DEA en arts visuels à l’Université de Strasbourg, puis j’ai soutenu ma thèse en 2012. Cela a cristallisé beaucoup de choses. C’est un moment hors du temps où l’on peut pousser la discussion très loin sans avoir peur de la critique ou du vide. Un moment rare, unique, déconnecté d’une certaine utilité et du quotidien, qui se focalise sur la beauté des idées et le processus de recherche qui nous laisse entrevoir cet espace de liberté. Sans doute mes meilleures années malgré certaines difficultés.

Je suis actuellement enseignante en arts plastiques et en arts appliqués à l’Ensemble scolaire

Notre-Dame/St Joseph à Epinal, ainsi que professeure en « Histoire de la photographie » et « Histoire de l’Art » à l’Ecole de Condé à Nancy. J’initie aussi les étudiants à la théorie photographique et les suit (avec d’autres intervenants) dans l’élaboration de leur mémoire de fin d’étude.

J’allie mon métier de professeure et la photographie car je souhaite garder la partie pratique tout en continuant d’être pédagogue. Je le conçois comme un tout. J’envisage cela comme un cercle : pratique, théorie, enseignement, communication. J’y trouve mon équilibre. Il m’est nécessaire de connaître la photographie actuelle, les photographes du moment, comment se vend une photo. Il faut être à la page.

 

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Quels sont les artistes d’hier et d’aujourd’hui qui vous ont inspiré tout au long de votre parcours ?

 

Mes sources d’inspiration sont multiples et variées : la photographie bien sûr, mais aussi la littérature, le cinéma, et aussi des démarches singulières de plasticiens. Je retrouve mes propres interrogations dans des domaines à priori très éloignés, et j’y suis sensible dans ma propre réflexion en retour. Dès que l’on se centre sur le process et moins sur l’image ou le résultat, un médium que l’on travaille, cela me retient. C’est vrai que j’ai été plus inspirée par les anciens.

Pêle mêle, j’aime beaucoup le photographe néerlandais Jan Dibbets, Philippe Gronon et Michael Snow (photo + vidéo). Mais aussi Ugo Mulas, Chantal Akerman, Jorges Luis Borges, Franz Kafka, John Hilliard, Bernar Venet, Marcel Duchamp, Jean-Marc Bustamante… J’ai découvert le travail de Mustapha Azeroual.

Je me suis également penchée sur certains philosophes tel que Jean-Louis Déotte (concept d’appareil en philosophie esthétique) qui m’a inspiré dans mes recherches lors de ma thèse. C’est lui qui m’a offert les portes de sa collection « Esthétiques ». Bien sûr, je reste proche de W. Benjamin et la pensée de R. Passeron.

 

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Et c’est quoi votre définition de la photographie ?

 

Pour moi, c’est le centre. Une possibilité de comprendre.

 

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Votre photographie est comme une science, comme un laboratoire d’expériences où l’on teste et expérimente… Vous vous décrivez comme une artiste plasticienne faisant de la recherche ?

 

Le réel est une matière comme une autre. Une matière que je vais transformer en photographie, ou plus précisément, que je vais rendre photographique. Le réel est quelque chose de donné et qu’on doit faire apparaître selon une modalité, un programme, celui de la photographie. Puis nous jouons avec des éléments spécifiques (lumière, cadre) qui permettent au réel d’être là.

L’échec est nécessaire. Nous avons l’idée, le déclic, mais après nous sommes confrontés aux aléas liés à notre corps de plasticien et aux limites données par la matière par exemple. Il faut y être attentif et savoir les voir et s’en servir dans sa création. Cela peut même devenir un autre projet, car l’accident est source de création.

Je fonctionne toujours avec le même procédé. Je mets en place une idée, un protocole. Je crée des process qui réfléchissent sur ce que c’est de faire une photographie. Après, il se passe des choses lors de la pratique et j’accepte ce qu’il vient. Pour moi, la création se situe ailleurs, dans la procédure à l’oeuvre : ne « rien attendre » de l’image photographique à venir. J’aime donner à voir les conditions de possibilités de cet appareil photographique. Je me laisse agir par lui. C’est un travail de découverte et c’est cela qui le rend intéressant.

J’essaie d’inculquer cela à mes élèves. Si ce qu’ils produisent n’est pas ce qu’ils attendaient, ce n’est pas considéré comme un échec. Il y a autant de résultats possibles qu’il y a des personnes dans la classe.

 

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Et pour vous, l’appareil photo fait partie intégrante du processus artistique. « Comment » photographier est une question tout aussi essentielle que « quoi » photographier ? Pouvezvous nous en dire plus ?

 

Une bonne photo c’est quand les deux se rejoignent. Le quoi sert le comment, le comment sert le quoi. Une prise de conscience que le réel est appareillé par la photographie.

 

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Dans l’ère du numérique, vous prônez l’argentique. Quelle est la richesse et la valeur ajoutée de l’argentique ?

 

Pour moi le numérique crée une image spécifique qui reste de la photographie. C’est une image fluide directement partageable. Le mode d’apparition du réel n’est pas le même qu’avec l’argentique. L’argentique est lié à une matière, une matrice, une destination différente du numérique. Par exemple, on a du grain au lieu des pixels. On ne crée pas le même type d’image.

Le numérique, sa matérialité, c’est le code, le langage. Le résultat d’un programme qui doit nécessairement se réaliser. Comme le disait J. L Déotte : « une photo numérique n’est pas l’interprétation d’une esquisse (d’un projet), mais la concrétisation d’un code ».

Aujourd’hui on a fait un transfert du monde de l’argentique vers un monde du numérique. L’appareil numérique a synthétisé tous les autres. C’est d’ailleurs sa spécificité.

Personnellement je travaille plus avec de l’argentique, car j’aime faire apparaître le geste, la matière, quelque chose qui m’est extérieur et que je transforme. Mais je ne m’interdis pas de penser au numérique en travaillant sur le code comme matière.

 

 

 

Pour vous les textes sont aussi importants que les photographies ? Pourquoi ?

 

Le texte pour moi est très important. Il permet d’expliquer ma démarche pour certains. C’est
aussi un travail de texte, dans le cadre de ma recherche.

 

 

La transmission vous apporte autant que la pratique ?

 

J’aime communiquer sur mon travail. J’aime montrer que la photographie peut être multiple.

Je souhaite une réelle prise de conscience à ce sujet et sensibiliser les autres aux différents types de photos possibles. La photographie n’est pas forcément que de l’image mais aussi un acte, une représentation, une matérialité etc.

 

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Quels sont vos futurs projets ?

J’aimerais monter des expositions dans des lieux près de chez moi. J’ai pour projet d’investir un lieu abandonné, inoccupé à Contrexéville.

J’ai également un projet de création de texte à partir d’une série de photographies. L’idée est de raconter la prise de vue sous forme d’histoire (auto-fiction) depuis le point de vue du photographe au moment de la création. Des textes plus fictionnels pour tenter de théoriser autrement la création.

 

Découvrez le teaser de l’exposition :

 

 

Pour plus d’informations :

Facebook : @Tiphaine Gondouin – plasticienne photographe
Instagram : @tifengondouin

Crédits photos : ©CD88 / AV / ME / LD