
Ce lieu, classé monument historique depuis 1976, contribue-t-il à l’art ? Comment fait-il partie intégrante des œuvres théâtrales qui se présentent sur scène ?
Avant d’être un bâtiment, c’est un projet… une utopie. L’art accessible au plus grand nombre. Depuis 1976 cette volonté y est ancrée. L’idée est de donner au public des œuvres exigeantes, de leur faire découvrir le théâtre.
Chaque directeur amène son projet. C’est un lieu au service de l’art, un lieu chargé de cette dimension « art » au sens noble.
Ce lieu induit les œuvres qu’on désire monter. Il est inspirant de par son architecture (portes qui s’ouvrent sur la forêt) puis par l’envie de mettre en scène des auteurs vosgiens.


Les Vosges, et cette scène avec un fond qui s’ouvre sur la forêt, est-ce une source d’inspiration pour les acteurs culturels et pour vous ?
Certains auteurs écrivent pour le Théâtre du Peuple.
Certains metteurs en scène, tel que Jean-Yves Ruf (« La Vie est un Rêve ») rêvait de travailler ici.
Finalement tout le monde est au service du lieu. Inspiré par la scène qui s’ouvre, le metteur en scène cherche quelle valeur lui donner. Comment la forêt devient un espace poétique et cinématographique. Trouver une analogie avec son propre travail pour y faire figurer la forêt de Bussang. Chacun est libre de s’en inspirer comme il le souhaite.
Vous êtes Directeur du Théâtre du Peuple depuis octobre 2017. Quels ont été les challenges les plus marquants rencontrés ? Quels sont les succès dont vous êtes le plus fier ?
Je ne sais pas si on peut vraiment parler de succès dans l’art…
Mais l’expérience la plus marquante pour moi a été de partir à pied du Théâtre du Peuple et d’aller à la rencontre des gens.
Ce projet a commencé en 2018 au nord de Bussang. En 4 ans, j’aurais sillonné tout le territoire avec une réelle dimension interrégionale. Côté sud vers la Franche-Comté cette année et pour finir en 2020-2021 coté est, vers l’Alsace.
J’ai joué dans les églises et les salles de fêtes. Les spectateurs avaient la possibilité de marcher à mes côtés. Je dormais chez les habitants.
Créer l’art auprès des gens, créer du lien. Leur rappeler que le théâtre est un lieu vivant et qu’on peut sortir du bâtiment. Et inciter les gens ensuite à venir au Théâtre du Peuple. Beaucoup connaissaient le théâtre, mais n’y étaient jamais allés.
Je suis fier de cette expérience. Je la vie intensément, seul dans la montagne. C’est une réelle performance physique et expérience humaine enrichissante.
Artiste, metteur en scène, directeur, … qu’est-ce qui vous a poussé à vous lancer dans ce métier-passion ?
J’étais très tôt au théâtre, vers 3-4 ans. J’étais souvent mis devant des pièces de théâtre. J’ai commencé le théâtre vers 14 ans dans un atelier au collège. J’étais très vite intéressé par ce qui se passait derrière la scène.
J’ai effectué un stage entreprise en 3ème à Limoges où j’ai découvert le métier de régisseur plateau. J’ai fait un cursus option théâtre au bac.
Je voulais tout faire : la mise en scène, la régie et jouer… Et aujourd’hui, je n’ai pas eu à renoncer à l’un ou l’autre. Je combine toujours les 2 ou les 3 dans mes créations.
La passion est venue aussi des spectacles que j’ai vu. Ce n’était pas un déclic…. Si ce n’est que la 1ère fois que je suis monté sur scène. Là il s’est passé quelque chose en moi d’inexplicable.
Vous avez souhaité créer un réel lien et une collaboration entre amateurs et professionnels. Pourquoi est-ce si important pour vous ? Quelle richesse est-ce que cette collaboration apporte à l’art ?
C’est l’histoire du Théâtre du Peuple et presque une obligation pour Bussang. L’après-midi on réunit des amateurs et des professionnels.
C’est ici que j’ai découvert les vertus de ce mélange. Les professionnels se ressourcent au contact des amateurs et les amateurs rehaussent leur degré d’exigence. Travailler avec les gens dans la vraie vie, des gens qui ont un travail ou qui sont retraités, c’est une réelle richesse. On sort un peu des circuits professionnels où l’on sait même plus pourquoi on fait ce métier. On retrouve l’essentiel et le plaisir de jouer. On revient à la base.
Pour vous, est-ce important de mettre en lumière les artistes locaux à Bussang ? Pourquoi ?
Des gens viennent de partout en France. C’est une manière de donner de la visibilité et de rendre hommage aux artistes qui sont sur le territoire.
Cette année, c’était un petit hasard d’avoir 3 artistes du Grand Est (Metz, Strasourg, Fraize).
Après Maurice Pottecher, aucun auteur vosgien avait joué au Théâtre du Peuple. Aujourd’hui il y a de nouveau des auteurs d’ici, comme Magali Mougel. Les gens ici sont sensibles à ça et sont fiers de leur territoire et les talents qui y émergent.
Le public continue d’être au RDV. Vous avez fait le choix de rendre le spectateur véritable participant du projet de théâtre. Expliquez-moi comment et pourquoi ?
Il y a des gens qui nous disent « je viens depuis 10 ans, 30 ans … ». Les gens se rendent compte de l’atmosphère unique : la magie du lieu et sa nature tout autour… Puis l’accueil du public avec la direction qui sert au bar. On déhiérarchise le métier et on donne une ambiance familiale.
Notre pari est de continuer à œuvrer à ce que de nouvelles personnes viennent et pas uniquement les habitués. C’est d’ailleurs pour cela qu’on a décalé les heures d’été pour accueillir de nouveaux publics. 450 collégiens du Thillot étaient présents par exemple. Avant, cela était impossible car le théâtre fermait fin août. Nous essayons de leur communiquer la magie du théâtre et leur donner l’envie de revenir avec leurs parents.
Oeuvrez-vous pour sensibiliser les jeunes au théâtre ? Et quelle vision avez-vous sur cette jeune génération? Une vision plutôt positive ?
Si on n’éveille pas la jeunesse et on leur donne que ce qu’ils consomment déjà, on ne va pas aller très loin.
On essaie de sensibiliser un maximum et on s’étend sur un territoire allant entre le Grand Est et la Franche-Comté.
On a travaillé avec des écoles primaires de 4 communes qui sont devenues très liées à notre projet. Toute l’année on essaie d’essaimer le goût pour le théâtre et le texte.
Le cœur de notre mission c’est d’être là pour leur montrer qu’il y a autre chose que la télévision et les smartphones… leur faire découvrir l’art vivant et les grands textes.
Si sur 300 collégiens il y en a que 15 qui auront été marqués, pour nous c’est très bien.
SUZY STORCK
Qu’est-ce qui vous a amené à faire le choix de cette création ?
La découverte du texte, tout simplement. Je fonctionne par le désir, en fonction de ce que je lis et ce que je veux raconter. Suzy Storck était un coup de cœur, un coup de poing. La manière d’écrire, la concision.
Puis le fait que Magali Mougel soit vosgienne était aussi un point important.
Et finalement, pour des raisons budgétaires pour la présentation du soir, nous voulions monter une pièce avec peu de comédiens.
C’est allé très vite. Cette pièce je l’ai lu en septembre 2018. Et en octobre, je l’avais prévu pour l’année d’après. Pour moi, il fallait parler de ça – de la place de la femme.




La charge mentale, la place de la femme dans cette société, la transparence de la femme et de la mère de famille, la pression de la maternité, l’identité, … tous des thèmes d’actualité. D’ailleurs un anglicisme, le « mom-shaming » (attaque aux agissements des mamans) est très souvent utilisé aujourd’hui. Suzy Storck fait partie des œuvres qui souhaitent donner une voix à ces femmes d’aujourd’hui ?
Lui donner une voix, oui… mais en même temps cela ne résout rien. Malgré ce qui se passe, cela ne changera rien. Je l’ai réenfermé dans son quotidien à la fin…
Elle ne supporte pas cette situation … et on se rend compte que ça va continuer ainsi…
Elle représente les grandes figures de femmes qui disent stop à un état de fait. Souvent un état installé par les mères, qui les mettent dans les mêmes schémas qu’elles ont vécu elles-mêmes. Et la femme devient prisonnière de ce schéma.


Pour vous, c’est une histoire qui a besoin d’être partagé, même si elle est difficile à entendre ?
Les histoires les plus difficiles à entendre sont celles qu’on doit entendre.
Les tabous. Le théâtre est là justement pour oser dire ce qui ne se dit pas dans les foyers.
Dans le public, ça a créé la discussion. Je trouve cela très sain. Des femmes ET des hommes sont venus nous remercier. Des hommes qui ont vécu avec des Suzy Storck et ont eu une vraie prise de conscience. Finalement, on rentre dans des mécanismes.
En tant que fils, je me rends compte maintentant de ce que c’est d’être mère. Les renoncements. On dit que c’est normal… mais c’est terriblement inscrit dans notre société.
C’est un sujet qui nous concerne tous, quel que soit le milieu social.
On va faire une tournée et présenter Suzy Storck dans les grandes villes. Nous voulons voir si la résonance est la même qu’ici.


Pour plus d’informations sur le Théâtre du Peuple
Site web : https://www.theatredupeuple.com/
Page Facebook : @theatredupeuple
Crédits photos : ©CD88/MEghtesad
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