Rencontre avec Nicole Roux, responsable de la valorisation culturelle, Archives départementales des Vosges
Pourquoi avoir choisi ce thème universel « Qu’est-ce qu’on mange ? » ?
Je suis en poste depuis 2002 au sein des Archives et nous avons traité de nombreux thèmes (le chemin de fer, la photographie patrimoniale, Jules Ferry, entre autres …). Cette année nous abordons un sujet plus contemporain afin d’impliquer un public nouveau ou qui ne vient pas habituellement aux Archives.
L’exposition est un vrai parcours allant de la terre nourricière et l’aliment brut jusqu’à nos tables et nos estomacs. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce voyage ?
Quand on aborde un sujet aussi vaste, on doit faire le choix entre aborder un aspect spécifique que l’on détaille ou aborder toutes ses composantes. J’ai choisi la seconde option… car je suis une gourmande ! L’exposition est organisée selon une ligne conductrice, on peut aller de cette terre nourricière à la table, mais on peut aussi « picorer » l’exposition en passant d’un thème à un autre, selon les envies.


Peut-on parler de patrimoine culinaire ? Et de patrimoine culinaire vosgien, plus précisément ?
Patrimoine culinaire français, oui, mais je ne m’y arrête pas. Dans les Vosges, les plats à base de lard ou de pommes de terre sont au cœur des menus, mais on les retrouve également dans d’autres régions. Cependant il existe un vocabulaire très spécifique autour de ces plats. Je dirais que le patrimoine culinaire vosgien se reflète dans le vocabulaire ou dans les recettes adaptées aux goûts locaux.
En outre, les Vosges disposent d’un vrai patrimoine lié aux arts de la table avec les couverts de Darney, le linge de Gérardmer, la verrerie de Portieux. L’industrie est ici représentée sans prendre une part trop imposante.
Nous habitons un territoire fortement rural. La terre nourricière, l’agriculture sont-ils des facteurs importants ?
Oui, il y a un impact fort. Je n’ai pas compulsé les études statistiques contemporaines sur ce sujet, souhaitant une approche plus historique, on retrouve un fort impact sur les productions, l’évolution des prix des denrées, les problèmes liés aux famines, etc.
À travers l’exposition, nous pouvons suivre l’histoire alimentaire de la France. L’histoire et la nourriture sont-elles étroitement liées ?
À partir d’un maximum d’exemples vosgiens, j’ai voulu montrer le contexte historique et alimentaire général. Par exemple, j’ai abordé les restrictions alimentaires en temps de guerre par le biais des approvisionnements de pommes de terre de 1917, les tickets de rationnement et les régimes pour les enfants lors de la 2nde Guerre mondiale.


Racontez-nous un peu ce travail de recherche de documents d’archives pour l’exposition qui a dû être long, minutieux et des plus intéressants.
Quand on parle d’alimentation, on est amené vers des sources diversifiées : cartes postales, statistiques agricoles, affiches, journaux, …. Les journaux, par exemple, ont été peu utilisés sur les précédentes expositions et ont été ici une source très riche. Puis il y a des recherches en archives anciennes qui prennent plus de temps pour leur dépouillement. J’ai eu la chance de travailler avec une stagiaire, Agathe Rivet (étudiante en Master 2 Histoire, Civilisation, Patrimoine) pendant 4 mois qui m’a beaucoup aidée sur la partie recherche, sélection de documents, scénographie, …. Cela est toujours très enrichissant et j’aime particulièrement transmettre et travailler en équipe.
Vous parlez des aspects positifs de la nourriture, mais vous abordez également les aspects négatifs (les dangers, les problèmes phytosanitaires, les fraudes, …). Finalement, l’alimentaire a toujours été source de scandales et polémiques ?
Oui. Finalement, quand on regarde, nombreux sont ceux qui se sont sentis obligés de « gruger » pour ne pas gaspiller une denrée invendable ou de faire plus de profit, parfois par méconnaissance du danger sanitaire. Quand on prend l’exemple du poisson vendu sur les marchés au XIXe siècle, en fin de journée, certains marchands badigeonnaient parfois de sang les ouies des poissons afin qu’ils paraissent roses et frais sans forcément se rendre compte que les consommateurs pouvaient en mourir. Aujourd’hui, il y a moins de scrupules, on ne peut plus dire que l’on ne savait pas.
Avez-vous une recette locale archivée à nous faire partager aujourd’hui ? Peut-être quelque chose à base de « pouarotte » [mot signifiant « pomme de terre » issu de dialectes vosgiens]?
Non, pas vraiment. Rares sont les recettes dans nos collections, mise à part quelques recettes de confitures, de sirops ou de vinaigres.
Il y a cette notion de « Qu’est-ce qu’on mange ? », mais également cette notion de « comment mange-t-on ? » avec un aperçu des codes du service à table, des arts de la table et de la restauration. C’est une volonté de l’exposition de montrer que manger crée également du lien, des émotions et du plaisir ?
Ça me semblait indispensable d’évoquer la mise en scène du repas au fil du temps. Les aliments sont une chose, mais avant de les consommer, on part des ustensiles de cuisine pour arriver aux arts de la table, dans les Vosges, nous avons un véritable savoir-faire.
Quant au patchwork de photos de repas de famille, de plats spécifiques ou de tables de fêtes …, c’est l’idée qu’il y a des gens derrière tout cela : qui va cuisiner et pour qui ?




Vous avez toute une panoplie d’ateliers pédagogiques et d’animations autour de l’exposition ainsi que des jeux concours pour faire participer le grand public. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Par exemple, le 30 novembre prochain, nous proposons une animation sur la cuisine du futur. Les chefs de cuisine des collèges des Vosges sont invités à participer à un défi culinaire portant sur des desserts trompe-l’œil. Une numérisation en 3D des desserts sera réalisée sous les yeux des participants (entrée sur réservation, gratuit).
Côté jeux concours, nous avons le concours « À vos tartes… tartez ! » le samedi 23 novembre à 14h. Deux catégories sont proposées : les tartes aux fruits et les tartes gourmandes. Le lauréat de chaque catégorie gagnera un cours de cuisine.
Nous avons également le concours « Des papilles et des yeux », un concours de photographies d’assiettes. Cuisinez et dressez une jolie assiette puis photographiez votre chef d’œuvre. Une sélection des plus belles photographies fera l’objet d’un livre numérique disponible sur notre site internet.
Question plus personnelle maintenant, qu’est-ce qui vous a marqué dans cette exposition ? Un souvenir à partager avec nous ?
On nous a prêté pour l’exposition un carnet de recettes d’une femme résistante ayant survécu au camp nazi de Ravensbrück. Des recettes qu’elle a écrites et échangées avec d’autres prisonnières… on se dit que peut-être ces échanges lui ont permis de ne pas sombrer… Cet objet a une réelle histoire. On ne peut pas y rester indifférente.
J’ai également été marquée par le menu datant de 1870 où figurent des animaux du Jardin d’Acclimatation de Paris. Ce n’est pas tous les jours que nous voyons sur un menu de restaurant du « haricot de chien », du « filet d’éléphant », du « phoque savant » et du « plum-pudding à la graisse de bosse de chameau » !


Pour plus d’informations sur l’exposition:
« Qu’est-ce qu’on mange ? »
www.archives.vosges.fr
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